Australie - le 24 décembre 2020 - Étonnante histoire que celle de l’île de Norfolk au large de l’Australie, annexée très tôt par les Britanniques pour être sûrs de ne plus dépendre de la Russie pour les cordages de leur marine et pour couper l’herbe sous les pieds de la France. Un homme mena à bien cette prise de possession, Philip Gidley King, futur gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud...
Au XVIIIe siècle –et avant– les marins utilisaient des kilomètres de cordages pour leurs navires à voiles. Grelin, amarre, filin, garcette, drisse, écoute, hauban, bout, balancine, hale-bas... suivant l’utilisation, ces “cordes” portaient des noms très spécifiques. Pour avoir une idée de l’importance de celles-ci, un navire de soixante-quinze canons par exemple embarquait plus de quatre-vingts tonnes de cordages. Cuir, crin, tendons, boyaux furent vite abandonnés au profit du chanvre, du sisal, du coton et même de la fibre de coco.
Échapper à la dépendance russe
Autre matière première indispensable à tout bateau à voile, le lin (Linum usitatissimum) qui, une fois tissé, garantissait aux voiles une durée de vie plus longue que celles faites en tout autre matière (comme le coton par exemple).
A la fin du Siècle des lumières, la marine britannique dominait les mers du monde, mais elle avait un talon d’Achille ; pour ses cordages comme pour ses voiles, elle dépendait grandement de la Russie, qui n’était pas, loin s’en faut, un allié fiable. Et cette dépendance aux ports de la mer Baltique (Riga et Kronstadt) déplaisait souverainement aux têtes pensantes de l’Amirauté qui cherchaient par tous les moyens à diversifier leurs sources d’approvisionnements. Après les explorations méticuleuses de James Cook dans les mers du Sud, il était apparu aux Anglais que pour obtenir des fibres résistantes et solides, rien ne valait celles de la “flax plant” originaire de Nouvelle-Zélande mais également de Norfolk (Phormium tenax, famille des Xanthorrhoeaceae).
Or l’île de Norfolk, alors inhabitée, pouvait à ce titre être annexée en deux temps trois mouvements, sans que se pose le problème éventuel du partage des terres avec des autochtones. Qui plus est, la fameuse “flax plant” était encore plus résistante et plus vigoureuse à Norfolk que chez les Maoris.
“Une délicieuse résidence”
Dès le mois d’août 1784, un éminent membre de la Royal Society, par ailleurs parlementaire anglais, ayant travaillé comme ingénieur en chef de la Compagnie des Indes orientales, Sir John Call, se fit un ardent apôtre de l’annexion de Norfolk : “Cette île a un avantage que n’ont pas la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Zélande en étant inhabitée, de sorte qu'aucun conflit ne pourrait être causé en la prenant à d’autres… Il ne semble y avoir rien de mieux que d’y installer des habitants et d’y développer de la culture pour en faire une délicieuse résidence. Le climat, le sol et la mer fournissent tout ce que l'on peut attendre d'eux. Le bois, les arbustes, les légumes et les poissons que l’on y a déjà trouvés n'ont pas besoin qu’on en rajoute pour les qualifier d'excellents échantillons ; mais le plus précieux de tous est le lin, qui pousse plus luxuriant qu'en Nouvelle-Zélande.” Le lin en question étant, bien entendu Phormium tenax.
En clair, il ne manquait plus qu’un homme décidé pour faire de Norfolk une source inépuisable de fibres pour les cordages dont la marine anglaise avait tant besoin.
La grande aventure de la First Fleet
23 avril 1758 : le petit Philip Gidley King voit le jour à Launceston, en Angleterre ; petit-fils d’un avocat, fils d’un drapier aisé, il ne suivit pas les traces de son père dans le business des textiles, et dès sa scolarité terminée (à l’époque à onze ans), il s’engagea dans la Royal Navy en 1770, comme assistant d’un capitaine ; il étudia avec application et fut nommé lieutenant dès 1778 avant d’embarquer pour ce qui sera la grande aventure de sa vie, l’expédition de la First Fleet : onze navires quittèrent en mai 1787 Porthsmouth pour établir la première colonie de peuplement à Port Jackson, en Australie. Un peu plus de 1400 personnes furent embarquées, dont près de 900 bagnards condamnés à l’exil. Le jeune Philip, alors âgé de 29 ans, décrocha un poste qui lui permettra de mettre en valeur ses qualités puisqu’il se vit affecté au navire amiral, la HMS Sirius, où se trouvait le chef de cette énorme opération et futur gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud, Arthur Phillip.
La traversée fut une longue aventure de plus de huit mois, les onze bateaux jetant l’ancre à Botany Bay le 26 janvier 1788. Soixante-neuf embarqués manquaient à l’appel à l’arrivée, la plupart étant décédés ou ayant déserté, mais globalement, le voyage fut considéré comme un succès (durant le trajet, on enregistra 22 naissances, car à l’époque, une condamnée au bagne, fut-elle enceinte, était embarquée sans ménagement et sans traitement de faveur particulier...).
Quinze bagnards, sept hommes libres
Arthur Phillip avait des consignes précises de la part de l’Amirauté : s’il devait prendre la direction des opérations d’installation de cette nouvelle colonie britannique en Australie, il devait aussi veiller à ce que la Couronne se dote d’un nouveau joyau, l’île de Norfolk, au large de la côte est de l’Australie. Et pour cela, après avoir vu Philip Gidley King à la manœuvre pendant toute la longue traversée, il décida de lui confier le commandement d’une plus petite expédition destinée à implanter durablement une autre colonie de peuplement à Norfolk.
Phillip attribua au jeune officier le commandement de la HMS Supply, et lui confia un lot de bagnards et une escouade de gardiens destinés à encadrer cette main d’œuvre peu fiable. Dès le 14 février 1794, la Supply quittait Botany Bay pour faire voile sur Norfolk qui fut atteinte quelques jours plus tard, le 29 février. King tourna et vira cinq jours autour de l’île cherchant désespérément un site de mouillage où son navire serait en sécurité. Finalement, le débarquement, le 6 mars 1788, se fit non sans difficultés, l’île n’offrant pas de rade sûre et de port naturel à l’abri des vents et courants changeants. Foulèrent l’île quinze bagnards et sept hommes libres.
Une mutinerie déjouée
Sur place évidemment, tout était à faire ; il fallait défricher, construire (des cabanes pour commencer), l’équilibre de King consistant à mettre au travail ses bagnards pour à la fois bâtir de quoi se mettre à l’abri et surtout travailler la terre, de manière à ce que la petite colonie puisse rapidement devenir auto-suffisante. Sans perdre de vue qu’à terme, Norfolk devait fournir des mâts à la marine et des voiles en lin local (Phormium tenax).
Autre gageure, faire en sorte que ces prisonniers, très libres de leurs mouvements, respectent les règles et la discipline imposées par leurs gardiens. King eut recours à une petite astuce : à Norfolk, aucun navire de plus de vingt pieds ne pouvait être construit, ce qui, pensait King, anéantirait toute velléité de s’évader vers la Nouvelle-Calédonie (à 400 miles au nord) ou la Nouvelle-Zélande (à cinq cents miles au sud, la côte australienne la plus proche se trouvant à 900 miles nautiques).
Rapidement, à Port Jackson, il apparut comme une évidence qu’il fallait étoffer ce premier contingent d’hommes, bagnards et gardiens et c’est ainsi que la Sirius fit plusieurs allers-retours entre l’Australie et Norfolk. L’entente entre gardiens et prisonniers était si fragile que dès le début de l’année 1789, King, qui avait des oreilles partout, fut mis au courant d’un vaste projet de mutinerie : les bagnards avaient prévu de s’emparer de la garnison, de neutraliser les soldats et de confisquer leurs armes, puis, dans la foulée, de réquisitionner la Sirius afin de s’échapper de l’île.
King eut le temps de réagir et de neutraliser cette tentative de rébellion ; il est très probable que le détail des projets des mutins lui a été confié par une des prisonnières, Ann Inett, qui était en réalité devenue sa compagne et qui lui donna un premier fils le 8 janvier 1789, fils baptisé Norfolk. Ann était une ancienne couturière qui avait dérobé quelques vêtements et qui, pour cela, avait été condamnée à la pendaison, peine commuée en sept années de bagne en Australie. Le couple King-Inett eut un second enfant un an plus tard, encore un garçon, baptisé Sydney.
Mariage à Londres et retour
Le 19 mars 1790, la Sirius fut drossé sur des rochers alors que le bateau amenait des vivres et de nouveaux prisonniers. La perte de ce navire fut un coup dur pour la petite colonie (voir encadré “Sauvés par les pétrels”).
King s’embarqua dès qu’il le put avec femme et enfants pour Botany Bay. Le gouverneur Phillip l’avait chargé de faire un rapport à Londres sur les difficultés des deux colonies de Port Jackson et de Norfolk. Auparavant, King avait à mettre de l’ordre dans ses affaires ; il installa Ann Inett à Port Jackson, lui donna les moyens de vivre décemment, tout en lui faisant bien comprendre qu’à cause de son statut d’ex-bagnarde, il ne pouvait pas l’épouser. Qu’à cela ne tienne, Ann, en 1792, sans doute grâce à un petit coup de pouce de King lui-même, épousa un autre homme avec lequel elle éleva ses deux fils, tous les deux entrant plus tard dans la marine britannique, le jeune Norfolk devenant même le premier officier de la Royale né en Australie.
A Londres, King ne perdit pas de temps. Il avait une mission à mener à bien et des ambitions familiales précises. Il souhaitait épouser une jeune femme de sa condition, ce qu’il fit avec Anna Josepha Coombe, qui n’était autre que sa cousine germaine. L’affaire fut rondement menée puisque le mariage eut lieu le 11 mars 1791, peu avant le retour à Norfolk de King, à bord de la HMS Gorgon. Il revenait avec le titre de lieutenant-gouverneur de Norfolk (rémunération annuelle de 250 livres).
Son épouse lui donna en décembre 1791 un fils légitime cette fois, Phillip Parker King, la famille s’agrandissant plus tard de quatre filles.
Une mutinerie des militaires !
Forte d’un bon millier de personnes, la petite colonie de Norfolk s’était développée de manière satisfaisante, mais une troisième catégorie d‘immigrants peuplait l’île : les anciens bagnards ayant purgé leur peine, ayant été libérés et qui désormais vivaient en citoyens libres. Eux, tout comme les prisonniers, se plaignirent auprès de King, dès son retour, des salaires trop bas et des mauvais traitements qu’ils subissaient de la chiourme, placée sous les ordres du major Robert Ross durant l’absence de King. Ce dernier prit le temps d’écouter, de comprendre, de dialoguer et de considérablement assouplir la discipline régnant sur l’île, d’autant que celle-ci, dès 1794 était autosuffisante en céréales et qu’elle exportait même du porc salé en Australie.
Ayant relâché la pression sur les civils, King, par retour de bâton, fut alors accusé par les soldats de la garnison, membres du New South Wales Corps, de trop d’indulgence pour les civils et de trop de dureté envers eux. Plus grave, une nouvelle mutinerie fut organisée, cette fois-ci par les militaires, mouvement que King, une nouvelle fois, neutralisa en expédiant une vingtaine de meneurs à Port Jackon pour passer en cour martiale.
En charge du dossier, le lieutenant-gouverneur Francis Grose donna tort à King, renforça les prérogatives des militaires sur les civils pour, plus tard, s’excuser d’avoir mis en porte-à-faux le gouverneur de Norfolk !
Cette querelle entre les militaires et King se poursuivit après son départ de Norfolk en 1796 et son retour en tant que gouverneur général de la Nouvelle Galles du Sud. Le conflit entre des soldats et officiers frondeurs et leur gouverneur atteignit une telle intensité que Londres dut rappeler King où sa santé déclina très vite.
Il s’éteignit le 3 septembre 1808, à peine âgé de cinquante ans. A noter que son successeur au poste de gouverneur de la Nouvelle Galles ne fut autre que le célèbre capitaine Bligh, qui devait sa renommée à la mutinerie de la HMS Bounty en 1789. Bligh, lui aussi, tenta de mettre au pas la garnison, mais il fut l’objet d’une mutinerie au terme de laquelle il fut expédié en Tasmanie où il resta prisonnier à bord d’un navire durant deux ans, avant de pouvoir rentrer en Angleterre pour y être jugé...
Norfolk Island : un peuplement irrégulier
L’île de Norfolk se situe entre la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande, à 1412 kilomètres des côtes australiennes. Deux autres îles proches, Nepean Island et Phillip Island forment le “Territory of Norfolk Island” peuplé de 2000 personnes environ, la capitale ayant été baptisée Kingston. L’île est petite : 34,6 km2 (1 045 km2 pour Tahiti) pour 32 kilomètres de côtes. Son point culminant est le mont Bates (319 mètres), la plus grande partie des terres, en pentes douces, étant propices à l’agriculture et à l’élevage.
Des Polynésiens et des Mélanésiens ont sans doute habité sur l’île, ont révélé des fouilles archéologiques, mais celle-ci était inhabitée depuis plusieurs siècles avant la prise de possession par les Britanniques en 1788.
L’île abandonnée en 1814
James Cook la découvrit le 10 octobre 1774 et la baptisa de son nom actuel en hommage à Mary Howard, duchesse de Norfolk en Angleterre. King y installa une colonie de peuplement en 1788. Le coût de cette petite colonie étant jugé trop élevé, l’île fut petit à petit vidée pour être complètement abandonnée en février 1814. Tous les bâtiments avaient été détruits et brûlés pour éviter qu’une autre puissance ne s’installe sur l’île. Mieux (ou pire), une meute d’une douzaine de chiens fut laissée sur place pour tuer et dévorer les porcs et le bétail abandonnés. En 1824, Thomas Brisbane, alors gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, décida de rouvrir le pénitencier pour les bagnards récidivistes et jugés irrécupérables. Entre 1826 et 1846, plusieurs soulèvements échouèrent et finalement, Norfolk fut encore abandonnée en 1855, les derniers condamnés ayant été envoyés en Tasmanie.
Les conditions de survie et les mauvais traitements infligés aux prisonniers étaient tels que ceux-ci préféraient mourir plutôt que de continuer à vivre dans ce qui était devenu un enfer. Cette fermeture du bagne en 1855 intervint notamment parce que deux évêques, Ullathorne et Willson, avaient dénoncé en Australie les horreurs dont Norfolk était le théâtre, l’île étant placée sous le commandement d’officiers de plus en plus cruels.
Cadeau pour les Pitcairniens
Norfolk connut un troisième épisode de peuplement en 1856, lorsque les habitants de Pitcairn, descendants des mutinés de la HMS Bounty, furent transférés sur cette île, la leur étant devenue trop petite. C’est à la demande des anciens qui avaient envoyé un courrier à la reine Victoria lui expliquant leur impossibilité de survivre à deux cents sur leur île minuscule que la reine leur fit cadeau de Norfolk.
Le 8 juin 1856, 180 quatorze Pitcairniens débarquèrent du Morayshire et s’installèrent durablement, puisqu’on trouve aujourd’hui leurs descendants (même si certaines familles sont revenues à Pitcairn en 1858 et en 1863, comme les dix-sept membres de la famille Young, repartis à Pitcairn dix-sept mois après leur arrivée à Norfolk). Dans la foulée, d’autres colons s’établirent, notamment des marins de baleiniers puisque l’île était une escale prisée par ces équipages.
Un peu moins d’autonomie...
Norfolk a été successivement rattachée à la Nouvelle Galles du Sud, puis à la Tasmanie en 1844 et enfin devint autonome le 1er novembre 1856. Elle revint ensuite sous la houlette du gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud (en janvier 1901). En 1913, une loi précisa que désormais Norfolk aurait un administrateur à part entière ainsi que des magistrats et un code pénal.
En 1942, en pleine guerre, Norfolk fut dotée d’une piste d’atterrissage. L’île bénéficia d’un statut d’autonomie limitée en 1979 et depuis, les querelles entre Canberra et les responsables politiques de Norfolk ont été très nombreuses, les uns demandant que les habitants de l’île payent des impôts pour avoir droit aux prestations sociales en vigueur en Australie, les autres demandant ces prestations mais sans avoir à payer d’impôts... Air connu chez nous !
Depuis 2016, une normalisation a eu lieu, les lois australiennes s’appliquant désormais à Norfolk (fiscalité, douanes, santé, immigration, aides sociales...). L’Assemblée législative locale a été supprimée, l’île étant désormais sous la tutelle d’un administrateur et d’un conseil régional consultatif. Leitmotiv de Canberra : moins d’autonomie pour plus d’efficacité...
Les premiers gouverneurs de la Nouvelle Galles du Sud
Capitaine Arthur Phillip, 1788-1792
Capitaine John Hunter, 1795-1800
Capitaine Philip King, 1800-1806
Capitaine William Bligh, 1806-1808
Colonel William Paterson (faisant-fonction), 1809
Général de division Lachlan Macquarie, 1810-1821
Général de division Sir Thomas Brisbane, 1821-1825
Général de corps d'armée Ralph Darling, 1825-1831
Général de division Sir Richard Bourke, 1831-1837
Sir George Gipps, 1838-1846
Sir Charles Augustus FitzRoy, 1846-1855
Pins et “lin”
La première raison ayant justifié la prise de possession par Londres de l’île de Norfolk est une raison stratégique. Pour les voiles et les cordages, la marine britannique dépendait beaucoup trop de ses fournisseurs en Russie. Or, à Norfolk poussaient à foison des plantes du plus haut intérêt : les pins en premier lieu (Araucaria heterophylla) et le lin de Nouvelle-Zélande (Phormium tenax) ressemblant plus à un roseau qu’au lin cultivé en Europe.
Les pins de Norfolk présentaient un avantage pour les marins de l’époque ; ils poussaient bien droit, atteignant cinquante à soixante mètres de hauteur, largement de quoi fabriquer des mâts et des espars. Il s’avéra, au fil du temps, que ce bois n’était pas aussi résistant que les premiers découvreurs l’avaient imaginé, mais ce pin désormais protégé reste une plante ornementale recherchée alors que des coupes très réglementées permettent d’exploiter son bois.
Le lin de Nouvelle-Zélande a pour sa part fait l’objet d’une intense activité industrielle, spécifiquement en Nouvelle-Zélande, jusqu’en 1930. Depuis, les cordages synthétiques ont eu raison de cette plante devenue envahissantes dans de nombreuses régions où elle a été introduite comme plante ornementale. Les Maoris se servaient de cette fibre qu’ils appellent muka pour de très nombreux usages, la plante elle-même étant appelée harakeke.
Les premiers jours à Norfolk
Pour l’époque, King était jugé comme un homme plutôt doux envers les bagnards comme les civils demeurant sur l’île. Malgré tout, ses méthodes aujourd’hui auraient sans doute bien du mal à être acceptées. Ainsi, six semaines après l’installation de la petite troupe, un matelot, John Bachelor, fut accusé d’avoir volé une bouteille de rhum dans la tente de King. La punition, publique, fut exemplaire : 36 coups de fouet. Un autre jeune homme, Charles McLennan, témoin de la flagellation et désireux d’innocenter Bachelor, enquêta discrètement et trouva finalement le rhum dans la tente du médecin chirurgien Jamieson. Ce qui valut à McLennan, qui n’avait que 16 ans, non pas de la reconnaissance, mais cinquante coups de fouet !
Lorsque les hommes isolés sur l’île constatèrent que leur commandant avait pris une maîtresse en la personne d’Ann Inett, certains s’en inspirèrent : ainsi le jeune Edward Garth, condamné à mort puis à l’exil, se mit en couple avec une ancienne prostituée, Susannah Gougj tandis qu’un charpentier, Nathaniel Lucas, fila le grand amour avec Olivia Gasgoin, 25 ans, qui avait commis un crime grave puisqu’il s’agissait d’un vol par la force, avec des armes. Très vite, les trois femmes se retrouvèrent enceintes...
On travaillait à Norfolk, beaucoup même : ainsi en quelques mois une route fut tracée de Kingston à Anson Bay, via le mont Pitt. Défrichage, abattage d’arbres et sciage permirent de rapidement remplacer les tentes par des baraques et bâtiments en bois, solides et surtout plus chauds.
La découverte d’une source d’eau douce à Turtle Bay donna aux colons l’opportunité de fabriquer mortier et plâtre pour construire en dur. Enfin les plantations se montraient généreuses : bananiers, orangers, riz, blé, cannes à sucre, orge, citrouilles, artichauts, pommes de terre, navets, laitues, oignons, poireaux, céleris, persil, tout poussait sous le climat sub-tropical de l’île, dans une terre très généreuse, qui n’avait rien à voir avec la pauvreté des terrains entourant Port Jackson en Australie. Très vite, les surplus et du porc salé purent être envoyés sur l’île-continent où la colonie pénitentiaire avait bien du mal à survivre.
Sauvés par les pétrels
Un drame faillit mettre fin à la colonisation de Norfolk. Un jour, la HMS Sirius, navire amiral de la First Fleet, amenait plus de 250 nouveaux arrivants (dont 183 autres bagnards et 27 de leurs enfants, ainsi que deux compagnies de soldats). Une violente saute de vent fit que la Sirius s’empala littéralement sur des rochers. Le navire sombra avec tous les vivres, passagers et équipage étant sauvés.
Mais comment, pour les 150 personnes peuplant alors Norfolk, nourrir tant de bouches ? Alors que la famine menaçait, une nuée de pétrels, venus se reproduire, apparut dans le ciel et s’abattit sur l’île. A raison de 2 à 3000 oiseaux tués chaque nuit et mangés par tous pendant des mois (volaille pas très grasse, au fort goût de poisson), la colonie fut sauvée et secourue par un navire envoyé après que la disparition de la HMS Sirius eut été constatée.